Critique du spectacle Poètes…Vos chansonniers
Par : Camille Gascon, étudiante (cours Critiques des arts vivants)
Errant dans les corridors du Collège, une musique de cabaret burlesque parvient à vos oreilles. Elle émane du C-218, un local surtout utilisé pour le Département de théâtre. La curiosité vous prend et vous entrez. Brusquement, vous êtes projeté au milieu du XIXe siècle, dans un sous-sol festif, où se trouve un cabaret-théâtre. Une cinquantaine de personnes prennent place. Des tables sont disposées devant une scène à même le plancher. Une enseigne avec l’inscription « Poètes » clignote. Une lumière rougeâtre, provenant des chandelles et du plafond, vous enveloppe. Vous vous assoyez et vous observez impatiemment les guitares disposées devant la salle. Quelles notes auront la chance d’être jouées? Un homme à l’allure vagabonde, un dandy défraichi, est étendu sur un piano de bois. D’une main, il joue quelques notes distraitement. De l’autre main, il tient un livre et il se met à réciter un poème [1]. Ce dernier élabore que la poésie n’est pas écrite pour être lue en silence, c’est plutôt lorsqu’on la clame haut et fort qu’elle prend son aisance. Un autre homme arrive. Il est le deuxième vagabond, le second clochard céleste, qui vous emmènera ailleurs avec des mots et des chansons.
Le spectacle auquel vous assistez se nomme Poètes…Vos chansonniers. Il a pour mandat d’ouvrir l’esprit à la poésie d’un auditoire formé majoritairement de collégiens. Il met en scène deux artistes, deux hommes, qui amalgameront leurs passions de la poésie et de la musique. Ils évolueront avec humour. La participation du public est requise : on lui distribue des objets, on l’invite à prendre un « shooter » ou on l’incite à crier des mots dans le cadre d’une chanson. C’est un mélange entre le théâtre et la performance musicale avec une touche comique.
Tout au long de la prestation, l’atmosphère du cabaret intime demeure. À certains moments, les deux artistes semblent s’isoler dans leur univers et d’autres fois, ils sont là avec les gens dans la salle. Le spectacle est construit selon une alternance entre chansons et dialogues. La fin d’une conversation mène à une chanson et la fin d’une mélodie débute une discussion. Les deux amis vont raconter leurs états d’âme en ralliant toujours une pièce musicale à leur propos. Néanmoins, ce ne sont pas des compositions vocales banales, ce sont des poèmes qui ont été adaptés avec une mélodie pour former une chanson. Les deux hommes chantent parfois séparément, parfois ensemble. L’un d’eux joue de la guitare, tandis que l’autre joue du piano et de l’harmonica. Plusieurs objets insolites seront utilisés pour dynamiser le déroulement. Alcool, céleri et poulet seront présents.
Les deux artistes traitent de trois grands thèmes : le travail, la mort et l’amour. Au début, ils s’exaspèrent du travail et de l’acharnement qu’il entraîne. Ensuite, ils abordent la mort que personne ne peut éviter. Finalement, il parle du bel amour, celui qu’on apprécie et que l’on convoite. Ils se penchent donc sur des sujets auxquels chacun et chacune peuvent se rattacher. Les trois thèmes sont explorés avec la poésie chantée. Par exemple, le travail sera illustré par le poème Vendredir de Michel Garneau (2002), la mort par le texte Je voudrais pas crever de Boris Vian (1952) et l’amour par l’écrit Au long de tes hanches de Gaston Miron (1965). Au total, on retrouve douze chansons provenant d’époques et de nationalités différentes. C’est donc une représentation qui fait voyager en temps et en lieux. Les spectateurs ont l’impression d’assister à une rencontre fortuite dans l’existence de deux amis marginaux dans un espace intemporel. Le but de présenter cette rencontre à un public est de rendre la poésie vivante à l’aide de la musique.
D’ailleurs, la singularité du spectacle provient de son objectif : présenter une poésie musicale accessible et animée. C’est en utilisant plusieurs disciplines, comme le théâtre, la musique et l’humour, que ces clochards attachants rendent la poésie invitante. Les voix des deux hommes sont harmonieuses et elles vous projettent dans un autre univers. Souvent, le rire se propage dans la salle, mais il arrive aussi qu’une belle émotivité se répande. Les instruments de musique sont habilement maniés. Les chansons sont originales et différentes de ce que l’on entend dans la vie de tous les jours. L’excentricité du numéro, exécuté sans prétention, le rend efficace.
Il est facile de juger hâtivement une petite salle perdue d’un cégep, décorée avec les moyens du bord, ou encore de négliger le talent de deux artistes méconnus. C’est en éliminant toute idée préconçue et en accueillant la beauté de ce qui vous est présenté pour ce qu’elle est, que vous réussirez à réellement apprécier. Les mélodies et les mots qui vous sont offerts dans Poètes…Vos chansonniers sont une richesse pour votre âme et votre esprit. Alors, vous qui n’êtes pas friand de poésie, vous qui n’écoutez que de la musique populaire à longueur de journée et vous qui n’avez jamais fait de voyage dans le passé, vous avez tout à gagner en voyant ce spectacle, Poètes…Vos chansonniers.
[1] Poète…vos papiers! De Léo Ferré, 1956.
Artistes : Vincent Julien (chant, guitares, accessoires), Alexis Vaillancourt-Chartrand (chant, piano, harmonica, accessoires)
Mise en scène : Patrice Joly (facilitateur, conception de l’espace et direction technique)
Production : Service de l’animation culturelle, sous la direction de Gilles Vaillancourt
Pour connaître les dates des représentations, cliquez sur le lien suivant cstj.qc.ca/poetes-vos-chansonniers.
Pour voir des photos du spectacle, visitez la page Facebook du Club photo du SAC.