Par Naomi Chouinard, Maïté Goulet-Goyette, Zachary Labelle, Magalie Lagacé, Coralie Moreau, Raphaël Morissette, Laurianne Richard et Cléophée Wellens, sous la supervision de leur prof, Mariève Desjardins.
Depuis des temps immémoriaux, 11 nations autochtones sont présentes sur un territoire que l’on nomme aujourd’hui le Québec. Pourtant, la société allochtone s’éveille tout juste à la richesse des Premiers Peuples. Inviter à une véritable rencontre entre les cultures. C’est ce que désirait le Théâtre Gilles-Vigneault en lançant ce printemps la première édition de son Festival arts vivants autochtones.
« On a été longtemps effacés, oubliés et même tassés », raconte Catherine Dagenais-Savard, Wendat et Québécoise, co-commissaire d’un événement qui s’est déroulé en avril dernier, intitulé Nikak Tagocniok. Elle réfère notamment au sort que l’état colonial a réservé aux nations autochtones, et qui a donné lieu aux épisodes les plus sombres de l’histoire canadienne. On n’a qu’à penser à la Loi sur les Indiens adoptée en 1876, tentative délibérée d’assimilation ou au douloureux passé des pensionnats.
Le titre du festival signifie, en langue anishnabe, « les outardes arrivent », manière de faire allusion à une renaissance printanière, et du même coup à une réappropriation identitaire. L’artiste et commissaire, qui a d’ailleurs renoué au début de l’âge adulte avec ses origines wendat, admet que l’histoire a été vraiment difficile, mais décide de regarder vers l’avant : « Les artistes autochtones sont plus présents. Je veux continuer ce mouvement de reconnaissance ».
En effet, dans plusieurs domaines, les artistes autochtones s’affirment plus que jamais au Québec. En 2010, Hannenorak, une maison d’édition entièrement consacrée à la publication d’œuvres autochtones, voit le jour à Wendake et de plus en plus de ces œuvres s’intègrent aujourd’hui au corpus enseigné, tant au cégep qu’à l’université. Depuis 2019, une catégorie à l’ADISQ couronne l’artiste autochtone de l’année. Radio-Canada a maintenant une émission dédiée à la musique autochtone, Minotan, animée par Samian, rappeur anichinabe Dernièrement, des artistes réclamaient un quota de 5 % de musique autochtone sur les ondes des radios commerciales au CRTC. Puis, ce nouveau festival d’arts vivants à Saint-Jérôme. Une nouvelle page de l’histoire s’écrit …
L’art, mais pourquoi?
Aux yeux de Catherine Dagenais-Savard, la particularité de l’art, c’est sa capacité à faire ressentir des émotions, à propulser dans l’imaginaire. Ivanie Aubin-Malo, artiste wolastoqiyik (malécite) et québécoise, aussi co-commissaire du festival, abonde dans le même sens : « Pour moi, l’art, ça vient activer la compassion, l’empathie à travers quelque chose qui est universel, la musique, la danse, le théâtre. Ça permet de faire une rencontre à partir du cœur au lieu de le faire à partir de l’intellect ».
Dans la programmation du festival, l’artiste kanien’kehà:ka (mohawk) Barbara Kaneratonni Diabo a chorégraphié Danseurs du ciel, qui met en scène huit interprètes-danseurs, la plupart autochtones. Elle y évoque par la gestuelle un ensemble d’événements traumatiques. D’abord, l’effondrement du pont de Québec lors de sa construction, en 1907, où son grand-père a péri avec une trentaine d’ouvriers de Kahnawake. Ou encore le sort des enfants victimes des pensionnats. « Pour moi, la danse, c’est une langue quand je n’avais pas les mots. Avec le temps, j’ai appris qu’on appelle ça, nous, good medicine. Il y a une sorte de guérison dans ça. On danse aussi pour rire, communiquer, raconter des histoires ».
James Viveiros, danseur d’origine eeyou (crie), métisse et portugaise, qui a animé un atelier participatif, partage cette impression de s’exprimer au-delà des mots : « Chaque fois que l’on travaille avec son corps, c’est une expérience très viscérale et qui constitue une autre forme de langage. Ça peut sembler cliché de le dire ainsi, mais notre corps parle ».
Pour Sandrine Masse, qui s’est produite lors d’une soirée consacrée à la musique, l’art est au cœur d’une quête : « J’avais de gros questionnements identitaires et ça brassait vraiment en dedans, alors ça m’a donné le goût de m’exprimer différemment. J’avais besoin de mettre en mots ce que je ressentais, donc c’est là que j’ai commencé à écrire mes premières chansons », raconte la musicienne qui a depuis renoué avec sa communauté wendate après ses études en musique. Sa chanson « L’ours noir » s’inspire des contes de la tradition orale, tandis que « Wendat rap » réfléchit aux conséquences de l’histoire coloniale sur sa communauté.
L’Innu Omer Saint-Onge, un survivant des pensionnats, a raconté sur scène son histoire pour tous ceux qui ne pourront le faire. « Omer est généreux dans son témoignage, raconté sans jugement. Il va au bout du projet en racontant sa vie, ce qui apporte un aspect touchant à la présentation. Sa détermination est inspirante », souligne le metteur en scène Xavier Huard, qui entoure depuis plusieurs années des artistes autochtones dans leurs créations théâtrales.
Dramaturge, comédien et marionnettiste, Jocelyn Sioui revisite avec Mononk Jules l’histoire de son grand-oncle Jules Sioui, un héros wendat oublié. Il le fait revivre sur scène, avec son théâtre d’objet, et non sans humour. Cassandre Sioui, co-éditrice d’Hannenorak, maison d’édition où Jocelyn Sioui a publié le récit, souhaite justement, au-delà des souffrances intergénérationnelles, offrir une autre facette des Autochtones : « notre humour, notre prose engagée, notre modernité ».
Un futur bien vivant
Barbara Kaneratonni Diabo espère que le mouvement de reconnaissance fera prendre conscience de la complexité des identités et de la diversité entre les peuples autochtones, qui ont des cultures, des langues, des histoires différentes. Elle voit toutefois d’un bon œil le lien qui se tisse entre les Premiers Peuples et les Québécois. Elle estime qu’en plus de partager un territoire, ils partagent le même statut de peuples minoritaires au sein du Canada, qui ont dû se battre pour leur langue et leur culture : « Je pense qu’il y a un potentiel de se comprendre très bien et de s’aider beaucoup. »
Selon Catherine Dagenais-Savard, les Allochtones ont beaucoup à apprendre du contact avec les différentes communautés. Toutefois, si les Autochtones prennent de plus en plus leur place dans la société québécoise et canadienne, l’idéal n’est pas encore atteint. « On doit en être conscient, continuer de s’informer et de se poser des questions. Puis nous, on se bat à chaque jour », partage-t-elle.
« Y’a du monde qui nous voit seulement avec des plumes ou dans le passé. Nos manières de vivre et nos traditions ne sont pas juste une fantaisie romantique. On peut décider c’est quoi notre futur », affirme Barbara Kaneratonni Diabo. Pour elle comme pour les autres artistes du festival, il s’agit d’utiliser la créativité pour inventer un futur, à travers des arts vivants, ancrés dans le présent.
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Vers une éducation plus inclusive
Dans le passé, les institutions d’enseignement au Canada ont surtout été associées aux tentatives d’assimilation de l’héritage des Autochtones, notamment à travers l’histoire des pensionnats, dont le dernier n’a fermé qu’en 1996. Éducation médiocre, maltraitance, abus sexuels, plusieurs décès d’enfants, dont les corps sont encore retrouvés aujourd’hui.
Selon Mélissa Major, prof de français au CSTJ et coordonnatrice du projet de sécurisation culturelle autochtone, il s’agit maintenant d’agir pour que les institutions d’enseignement deviennent des alliés des Premiers Peuples, de déployer des efforts pour que les étudiants allochtones connaissent mieux leur culture, leur histoire, leurs enjeux. « Le CSTJ a aussi décidé d’agir en profondeur pour apporter des changements afin de rendre le Cégep plus accueillant possible pour les étudiants autochtones. »
Le rôle de Mélissa Major est entre autres de veiller à ce que la communauté enseignante améliore la manière dont elle aborde les enjeux autochtones et le fasse davantage et d’œuvrer à la décolonisation de l’histoire au sein de l’institution. Il s’agit de mettre au rancart certains préjugés et stéréotypes tellement ancrés dans les mentalités qu’il est parfois même difficile de se rendre compte qu’ils existent. « C’est en bonne partie avec les jeunes générations qu’il y a un espoir que ça change », croit Mélissa Major.